J
EAN
-F
RANÇOIS
D
OBELLE
RÉFÉRENDUM ET DROIT
À L’AUTODÉTERMINATION
1
I. H
ISTORIQUE
1
. Certains font remonter l’origine du plébiscite
2
dans le domaine qui
nous intéresse à la consultation des états généraux à la suite de la conclu-
sion du traité de Londres de 1359 entre Jean II le Bon et l’Angleterre
(qui se soldait par la cession d’une bonne partie de la France occiden-
tale à la Couronne britannique) et de celle du traité de Madrid de 1526
entre François I
er
et Charles Quint (qui débouchait sur le transfert de
la Bourgogne à l’empereur). Dans les deux cas, les états généraux reje-
tèrent le traité et empêchèrent la cession des territoires en cause. Le lien
avec le plébiscite au sens moderne du terme est néanmoins fort ténu
dans la mesure où, d’une part, les décisions de rejet émanèrent non de
la totalité de la population mais d’états qui n’en représentaient qu’une
faible part et où, d’autre part, la convocation des états généraux s’expli-
quait avant tout par des considérations patrimoniales inhérentes au
droit féodal (le suzerain ne pouvant décider du sort d’un fief sans
l’assentiment du vassal). D’ailleurs, à partir du
XVII
e
siècle, la cession
d’un territoire entraîna en général
ipso facto
le changement de nationa-
lité et de religion de ses habitants.
2
. En fait, le souci de consulter la population des territoires susceptibles
d’être cédés, annexés ou démembrés se manifeste réellement pour la pre-
mière fois sous la Révolution française. En 1790, en effet, deux posses-
sions du Saint-Siège (Avignon et le comtat Venaissin) soumirent à
l’Assemblée constituante une demande d’annexion. L’Assemblée
n’accepta de donner suite à cette requête qu’après avoir constaté, par un
vote populaire effectué par communes, que la majorité des habitants
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était favorable à cette opération. Le même souci expliqua la tenue à la
même époque de plébiscites à Nice et en Savoie. Comme le proclamait
avec force Merlin de Douai à l’Assemblée constituante, le 28 octobre
1790, « ce n’est point par les traités des princes que se règlent les droits
des nations ». Cela étant, la Convention devait rejeter les idées libérales
de la Constituante, qui avait renoncé solennellement à la guerre de
conquête, en mettant en avant la théorie des frontières naturelles qui
conduisit à des annexions plus ou moins conformes à la volonté des
habitants des territoires intéressés. Elle recourut notamment à des
méthodes coercitives pour rattacher la Belgique et incorporer la
Rhénanie à la France. Quant au congrès de Vienne, qui marqua la fin des
guerres de la Révolution et de l’Empire, force est de reconnaître qu’il ne
réserve aucune place à l’idée plébiscitaire et au droit des peuples à dis-
poser d’eux-mêmes.
3
. Tel Phénix renaissant de ses cendres, le plébiscite en droit internatio-
nal allait cependant connaître un essor sans précédent au cours du
XIX
e
siècle, parallèlement au développement du principe des nationali-
tés en France et en Italie. Toute l’unité italienne allait s’opérer par voie
de plébiscite et au nom de la volonté des peuples, selon la conception
subjective de la nation chère à Mazzini. Par ailleurs, à la demande de
Cavour, des plébiscites furent organisés en application du traité de
Turin du 24 mars 1860 ayant pour objet l’annexion de Nice et de la
Savoie par la France.
4
. A la même époque, d’autres instruments internationaux recoururent
au plébiscite : à titre d’exemple, citons le traité de Paris de 1856 qui orga-
nisa une consultation électorale sous le contrôle d’une Commission
européenne dans les provinces danubiennes de Moldavie et de Valachie,
le traité de Londres de 1863 qui déboucha sur la levée du protectorat
britannique sur les îles Ioniennes et leur rattachement à la Grèce ou
encore le traité de 1877 portant cession de l’île suédoise de Saint-
Barthélemy à la France. De même la dissolution de l’Union entre la
Suède et la Norvège en 1905, qui se traduisit par l’accès à l’indépendance
de celle-ci, fut assortie d’un plébiscite sur le territoire norvégien.
5
. Durant cette période, cependant, les pays germaniques et anglo-
saxons restaient généralement hostiles au plébiscite, comme le démon-
trent l’annexion des duchés danois par la Prusse (1867), celle de
l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne conformément au traité de Francfort
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de 1871, celle du Transvaal par la Grande-Bretagne en 1900 au lende-
main de la guerre des Boers ou encore les agrandissements successifs des
États-Unis d’Amérique : aucun plébiscite n’accompagna l’acquisition de
la Louisiane (1803), puis de la Floride (1819), l’annexion du Texas, du
Nouveau-Mexique et de la Californie (1848) ou encore celle des îles
Hawaii, de Porto Rico et des Philippines (1898). De manière plus géné-
rale, le référendum fut totalement étranger à l’expansion coloniale, où
qu’elle se soit manisfestée.
6
. Le plébiscite allait connaître un renouveau spectaculaire au lendemain
de la Première Guerre mondiale, à la lumière de l’affirmation du prin-
cipe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dont le président
Wilson devait se faire le champion. Une dizaine de plébiscites, dont cer-
tains se déroulèrent sous contrôle international, furent organisés par les
traités de paix. Parmi les plus célèbres, mentionnons ceux qui se tinrent
au Slesvig, en Prusse orientale ainsi que dans les cantons d’Eupen et
Malmedy (1920), en Haute Silésie (1921) et dans la Sarre (1935).
Contrairement à la pratique habituelle, la cession d’Eupen et Malmedy
à la Belgique précéda le vote qui fut d’ailleurs public. La consultation
se déroula globalement au Slesvig du Nord (qui opta pour le rattache-
ment au Danemark) et par communes au Slesvig du Sud (qui resta par-
tie intégrante de l’Allemagne). Le tracé des frontières résultant du plé-
biscite en Haute Silésie se révéla fort délicat car presque autant de
communes, dispersées sur l’ensemble du territoire litigieux, se pronon-
cèrent respectivement pour le rattachement à l’Allemagne (844) et à la
Pologne (678). Quant au plébiscite sur la Sarre, il se déroula dans des
conditions contestables du fait de la composition du corps électoral
retenu, soit toute personne ayant plus de vingt ans lors du vote (13 jan-
vier 1935) et ayant habité le territoire au moment de la signature du
traité de Versailles ! C’est donc une entité artificielle n’ayant rien de
commun avec la communauté réelle existant effectivement lors du vote
qui décida du sort du territoire.
7
. Cette vogue de plébiscites au lendemain de la Première Guerre mon-
diale ne doit toutefois pas masquer le fait que bon nombre de mutations
territoriales ne donnèrent lieu à aucune consultation électorale : tel fut
le cas de l’annexion du Tyrol du Sud (Haut-Adige) par l’Italie, du rat-
tachement de la Galicie orientale à la Pologne et de Teschen à la
Tchécoslovaquie, de l’érection de Dantzig en ville libre ou encore de la
réintégration de l’Alsace-Lorraine à la France ; il est vrai que, dans ce
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dernier cas, la volonté de la population concernée paraissait tellement
évidente qu’un plébiscite semblait inutile : comme le dit Poincaré en
constatant l’accueil enthousiaste réservé aux troupes françaises à
Strasbourg : « Le plébiscite ? Mais c’est fait. » Le rattachement de
Fiume à l’Italie et de Memel à la Lituanie à la suite de deux coups de
force ne fut pas davantage sanctionné par un plébiscite, non plus que
celui de Vilna à la Pologne. Plus généralement, la politique agressive de
l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie mussolinienne à partir du milieu
des années trente marqua une nette tendance à l’abandon de procédés
assurant le respect de la volonté des habitants des territoires cédés ou
annexés, comme l’illustre le règlement de la question des Sudètes dans
le cadre des accords de Munich.
8
. Le plébiscite devait connaître au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale un sort inverse de celui qui lui avait été réservé durant l’entre-
deux-guerres. Les traités de paix conclus en 1947 lui firent une part
modeste puisque seul celui passé avec l’Italie prévoyait une consultation,
à propos du rattachement de Tende et de La Brigue à la France. Ce plé-
biscite, qui intervint d’ailleurs après le transfert de souveraineté et se
solda par un vote massif en faveur de l’annexion (2 663 voix contre 216),
présente la particularité d’avoir été réclamé par la France (c’est-à-dire
l’État annexant lui-même) afin de respecter l’article 27, paragraphe 2 de
la Constitution de 1946. En revanche, le recours au plébiscite fut écarté
à Trieste, au Tyrol du Sud, dans le Dodécanèse, à Koenigsberg et dans
les territoires situés à l’est de la ligne Oder-Neisse.
9
. Le référendum allait cependant connaître peu à peu un nouvel essor
avec l’affirmation croissante du droit à l’autodétermination des peuples,
notamment, mais pas exclusivement, dans le cadre de l’ONU. Si certains
plébiscites officieux ne furent pas suivis d’effet (tel celui de 1946 aux îles
Féroé qui, à une faible majorité, aboutit à la proclamation de l’indé-
pendance, ou celui organisé par le clergé de Chypre en 1950, qui se pro-
nonça en faveur du rattachement à la Grèce), le Royaume-Uni organisa
dès 1948 un référendum à Terre-Neuve qui déboucha sur le rattache-
ment de ce territoire au Canada.
10
. De son côté, l’ONU, avec des succès divers, devait recourir au plé-
biscite pour régler le sort de certaines régions. Elle tenta d’abord de
l’utiliser pour trancher la question du Cachemire, disputé depuis 1947
entre l’Inde et le Pakistan, mais se heurta à l’opposition de New Delhi
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qui déclara que le Cachemire s’était déjà autodéterminé par voie de déci-
sions prises par son Assemblée constituante et fit de l’évacuation de
l’Azad Kashmir par le Pakistan un préalable. De ce fait, les résolutions
du Conseil de sécurité s’échelonnant entre 1948 et 1957 et stipulant qu’il
appartenait à la population du Cachemire de décider par plébiscite libre
et impartial si elle serait rattachée à l’Inde ou au Pakistan sont demeu-
rées sans effet. L’ONU ne rencontra pas davantage de succès dans la
mise en œuvre du plan de partage de la Palestine (résolution 181 de
l’Assemblée générale du 29 novembre 1947) dont la partie consacrée à
la ville de Jérusalem, érigée en
corpus separatum
, prévoyait la tenue d’un
référendum à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de l’entrée en
vigueur du statut. Les Nations unies parvinrent en revanche à organi-
ser plusieurs plébiscites dans le cadre de la levée de la tutelle sur
certaines régions d’Afrique et du Pacifique : partie du Togo sous admi-
nistration britannique (1956), parties du Cameroun sous administra-
tion britannique (1959 et 1961), Samoa occidental placé sous adminis-
tration de la Nouvelle-Zélande (1961). L’ONU cherche enfin depuis
des années à organiser un référendum au Sahara occidental mais se
heurte à plusieurs difficultés qui n’ont pas pour le moment été sur-
montées : si le principe même d’un référendum d’autodétermination
« sans contraintes administratives et militaires, organisé et contrôlé par
l’ONU en coopération avec l’OUA » (selon les termes de la résolution
de l’Assemblée générale du 11 décembre 1989, adoptée par consensus)
est désormais accepté aussi bien par le Maroc que par le Polisario et si
le Conseil de sécurité a créé la MINURSO (Mission des Nations unies
pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) dont le rôle
consiste à assister le secrétaire général de l’ONU dans la mise en œuvre
et le déroulement du scrutin, la composition du corps électoral qui sera
amené à se prononcer sur l’intégration au Maroc ou l’indépendance
continue à opposer les parties concernées. La principale question
consiste à savoir si on peut s’appuyer sur le recensement de la popula-
tion sahraouie effectué en 1974 par les autorités espagnoles. Le Polisario
estime que ce recensement est pour l’essentiel fiable et qu’il ne saurait
être complété que de manière marginale (indication des personnes décé-
dées, examen des demandes des personnes qui n’auraient pas été
dénombrées en 1974, etc.). Le Maroc considère, en revanche, que plu-
sieurs dizaines de milliers de Sahraouis ne figurant pas sur la liste de
1974 devraient pouvoir participer à la consultation. A cela s’ajoute la
question de la preuve de la naissance, de la résidence ou de l’apparte-
nance tribale (faut-il admettre, outre les documents officiels, les témoi-
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gnages oraux provenant des chefs de tribus ?). Quant au référendum
qu’il avait été envisagé de tenir au Timor oriental lors de la décolonisa-
tion portugaise, il a été ajourné
sine die
du fait de l’annexion de ce ter-
ritoire par l’Indonésie.
11
. En dehors du cadre onusien, la situation est tout aussi contrastée. La
France est indéniablement le pays qui a le plus souvent recouru au
référendum, et ce pas seulement durant la période où le général
de Gaulle fut au pouvoir (cf.
infra
). Mais le Royaume-Uni procéda éga-
lement à un référendum à Gibraltar en 1967, à sa seule initiative et sous
son seul contrôle. Cette consultation provoqua des protestations de
l’Espagne qui mit en avant le principe de l’intégrité territoriale. En
outre, la Nouvelle-Zélande organisa en 1965 un référendum aux îles
Cook qui déboucha sur une très large autonomie. Par ailleurs, un réfé-
rendum se tint en 1983 dans les territoires des États du Pacifique sous
tutelle stratégique américaine dans le cadre de l’ONU (îles Marshall,
Palaos, États fédérés de Micronésie). Dans les trois cas, les électeurs se
prononcèrent à une forte majorité en faveur de l’association. Plus
récemment, le 30 octobre 1995, les électeurs québécois ont été appelés
à se prononcer pour ou contre la « souveraineté » de leur province, dans
le cadre d’un nouveau partenariat avec le Canada. A l’issue d’un scru-
tin marqué par une participation exceptionnellement élevée (plus de
93 %), le « non » l’emporta par 50,6 % des suffrages exprimés.
12
. Ces exemples ne doivent cependant pas faire illusion. Pas davantage
aujourd’hui qu’hier le référendum n’est le corollaire indispensable de
l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination. Il est au contraire
frappant de constater que les principales mutations territoriales
contemporaines, postérieures à la décolonisation, ont ignoré totale-
ment le référendum. L’idée selon laquelle la consultation d’une popu-
lation est le meilleur moyen de respecter sa volonté avant de procéder
à l’annexion ou au démembrement d’États existants ainsi qu’à la créa-
tion d’États nouveaux n’est pas encore ancrée définitivement dans la
société internationale.
Ainsi, ni la réunification des deux Yémen ni surtout les bouleverse-
ments majeurs qu’a connus l’Europe centrale et orientale (réunification
de l’Allemagne ; éclatement de l’Union soviétique, de la Yougoslavie et
de la Tchécoslovaquie) n’ont été accompagnés de référendum. La réuni-
fication de l’Allemagne peut néanmoins s’analyser, à la lumière de
l’article 23 de la Loi fondamentale, comme la réintégration d’une partie
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47
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du peuple allemand dans l’État dont elle avait été séparée contre son gré.
13
. L’histoire offre donc de nombreux exemples de plébiscites qu’on
peut tenter de regrouper en plusieurs catégories : si l’on excepte les plé-
biscites d’occupation, dépourvus de valeur juridique parce qu’organi-
sés sous la contrainte, et les plébiscites de fait, spontanés, organisés par
la population elle-même souhaitant faire connaître son opinion (ainsi
quand les habitants d’Avignon et du comtat Venaissin sollicitèrent leur
réunion à la France par la voix de leurs députés après avoir chassé le
légat du pape), il convient de distinguer les plébiscites :
– en premier lieu, selon leur source : plébiscites unilatéraux, organisés
sur l’initiative d’un seul État ; plébiscites conventionnels, résultant d’un
accord bi ou multilatéral ; plébiscites onusiens ;
– en second lieu, d’après leurs modalités, selon notamment qu’ils se
déroulent sous contrôle international ou pas, celui-ci pouvant porter à
la fois sur la préparation de la consultation (établissement des listes élec-
torales, surveillance du déroulement de la campagne pour éviter
les pressions et intimidations), la tenue du scrutin et la proclamation
des résultats,
– en troisième lieu, selon leurs finalités : on oppose ainsi les plébiscites
d’annexion aux plébiscites de sécession, la consultation, dans le premier
cas, ne pouvant déboucher sur l’indépendance du territoire.
En règle générale, pour être valide, le plébiscite doit être d’attribu-
tion et non de ratification : en d’autres termes, le vote doit précéder le
transfert, mais on a vu que tel n’avait pas toujours été le cas.
14
. Au total, la plupart de ces plébiscites semblent répondre davantage
à des considérations d’opportunité politique qu’à une obligation véri-
tablement juridique. En réalité, il n’y a jamais eu d’adhésion générale et
inconditionnelle au plébiscite qui reste le plus souvent, du moins dans
le domaine qui nous préoccupe, un droit à la discrétion de la puissance
publique, utilisé sous son contrôle. Ne figurant pas parmi les institu-
tions traditionnelles des pays anglo-saxons ou de culture germanique,
il n’a été admis par le Tiers Monde que pour le droit à la décolonisation.
Les fondements du plébiscite en droit international public continuent
donc à demeurer incertains.
II. R
ÉFÉRENDUM ET
D
ROIT À L
’A
UTODÉTERMINATION
EN
D
ROIT
I
NTERNATIONAL
P
UBLIC
JEAN-FRANÇOIS DOBELLE
48
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15
. La portée exacte du référendum en droit international est affectée
par le fait que le droit à l’autodétermination des peuples dont il est censé
consacrer l’exercice est lui-même sujet à certaines incertitudes. Ce prin-
cipe a été proclamé par de nombreux instruments internationaux
(art. 1
er
et 55 de la Charte de l’ONU, pactes de l’ONU de 1966 sur les
droits civils, politiques et culturels et sur les droits économiques et
sociaux) et réitéré à satiété par les résolutions de l’Assemblée générale
des Nations unies (dont les plus célèbres sont la 1514 (XV), dite
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, la 1541 (XV) et la 2625 (XXV), dite Déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États conformément à la Charte de l’ONU, qui se
démarque des deux précédentes par le fait qu’elle a été adoptée par
consensus et qu’elle peut être considérée comme reflétant l’
opinio juris
des États). Il fait indéniablement partie aujourd’hui du droit interna-
tional positif, mais sa portée reste à bien des égards incertaine (qu’il
s’agisse de son contenu, des entités appelées à en bénéficier ou de son
exercice), et les conséquences juridiques de son affirmation sont loin de
faire l’objet d’un accord unanime.
16
. Tout d’abord, il n’existe pas de critères objectifs permettant de
déterminer avec certitude les titulaires du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes. Les peuples ont certes le droit indéniable de se soustraire
à un statut politique impliquant une « subjugation, domination ou
exploitation étrangères » (pour reprendre les termes de l’Assemblée
générale de l’ONU). Mais que recouvrent au juste ces concepts ? A
coup sûr, une situation de type colonial. Il reste alors à préciser dans
quels cas on se trouve en présence d’une colonie. Les résolutions de
l’ONU ne fournissent à cet égard qu’un faisceau d’indices tels que le
caractère géographiquement séparé, ethniquement et culturellement
distinct du territoire en cause et, surtout, la dimension inégalitaire et dis-
criminatoire du régime juridique et politique qui lui est applicable.
Ainsi la résolution 2625 précitée pose-t-elle le principe selon lequel il y
a une présomption de non-colonialisme quand un État est doté d’un
gouvernement représentant l’ensemble des peuples appartenant au ter-
ritoire, sans distinction de race, croyance ou couleur.
17
. Mais faut-il, comme l’ont fait l’ONU, une partie de la doctrine et la
Commission d’arbitrage constituée dans le cadre de la conférence euro-
péenne pour le paix en Yougoslavie (cf. ses trois premiers avis), estimer
que le droit à l’indépendance reste l’apanage des peuples soumis à une
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la seule possibilité, le peuple pouvant agir par l’intermédiaire de repré-
sentants librement élus. L’essentiel, selon les termes de la résolu-
tion 2625, est que les peuples puissent déterminer leur statut politique
« en toute liberté et sans ingérence extérieure ». A cet égard, si certains
estiment que le droit des peuples doit être exercé de façon démocratique,
par le moyen de consultations libres (plébiscite ou autres formes de
vote), d’autres tiennent ce droit pour librement exercé quand un mou-
vement politique, dont la représentativité est fondée sur l’action,
conduit un peuple à l’indépendance. Les deux conceptions se sont heur-
tées en Algérie lorsque le général de Gaulle, après avoir reconnu au
peuple algérien le droit à l’autodétermination, a contesté la représenta-
tivité de l’organe dirigeant la rébellion (le FLN) se réclamant d’une légi-
timité historique et révolutionnaire. Un compromis permit de sur-
monter cette difficulté puisque les accords d’Évian furent négociés avec
le GPRA (issu du FLN) mais qu’un référendum n’en fut pas moins
organisé (cf.
infra
).
20
. De manière générale, l’ONU s’est montrée peu exigeante sur la
manière dont la consultation des populations avait été effectuée, en
admettant, selon les circonstances, aussi bien le référendum que le vote
d’une assemblée représentative, l’accord des dirigeants d’un mouvement
de libération nationale, voire un simple sondage. A titre d’exemple, les
conditions dans lesquelles l’ONU donna son aval aux consultations
précédant l’accession de Bahrein à l’indépendance et, plus encore, le rat-
tachement de l’Irian occidental (partie ouest de la Nouvelle-Guinée) à
l’Indonésie (1969) firent l’objet de critiques. Certains regrettèrent que
l’ONU ait admis des entorses au suffrage universel en considérant
comme valides, dans un cas la consultation d’un millier de Papous sur
près d’un million, et dans l’autre, des sondages d’opinion effectués
auprès d’une centaine de clubs considérés comme représentatifs de
deux cent mille habitants.
21
. La Cour internationale de justice tend néanmoins à se montrer plus
exigeante. Dans son avis sur le Sahara occidental du 16 octobre 1975, elle
a souligné ainsi que la résolution 1514 (par. 2) confirmait que l’applica-
tion du droit à l’autodétermination suppose l’expression libre et
authentique de la volonté des peuples intéressés. Après avoir rappelé
que les résolutions 1541 et 2625 prévoyaient plus d’une manière pour
un territoire non autonome d’exercer son droit à l’autodétermination
(devenir un État indépendant et souverain certes, mais aussi s’associer
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ou s’intégrer librement à un État indépendant, voire encore acquérir
tout autre statut politique librement décidé), la CIJ a fait valoir que les
principes VII et IX de la résolution 1541 stipulaient respectivement que
la libre association « doit résulter d’un choix libre et volontaire des
populations des territoires en question, exprimé selon des méthodes
démocratiques et largement diffusées » et que « l’intégration doit résul-
ter du désir librement exprimé des populations du territoire, pleinement
conscientes du changement de leur statut, la consultation se faisant
selon des méthodes démocratiques et largement diffusées, impartiale-
ment appliquées et fondées sur le suffrage universel des adultes ». Après
avoir relevé que dans certains cas l’Assemblée générale de l’ONU
n’avait pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel
territoire, soit parce qu’une certaine population ne constituait pas un
peuple pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit parce que la
consultation eût été sans nécessité aucune, en raison de circonstances
spéciales, la CIJ n’en a pas moins conclu que le principe d’autodéter-
mination s’appliquait au Sahara occidental, grâce à l’expression libre et
authentique de la volonté des populations du territoire. Elle n’est
cependant pas allée jusqu’à affirmer que le référendum était le seul
moyen de garantir une telle expression.
22
. Enfin, le droit international ne fournit guère la réponse à deux ques-
tions pratiques fondamentales : d’une part, la délimitation du territoire
à plébisciter ; d’autre part, la composition du corps électoral.
23
. S’agissant de la délimitation, une difficulté se pose lorsque deux ou
plusieurs peuples sont étroitement imbriqués sur un même territoire
(par exemple en Haute Silésie). La France fait néanmoins traditionnel-
lement prévaloir le principe de l’unité de population vivant sur un ter-
ritoire, même lorsqu’elle est composée de deux peuples, et exclut le droit
pour chaque peuple habitant un même territoire de choisir individuel-
lement une solution (comme l’illustrent la consultation de 1967 dans la
Côte française des Somalis, où les Afars, à la différence des Issas, votè-
rent en grande majorité en faveur du maintien du territoire au sein
de la République française, celle de 1977 dans le Territoire des Afars et
des Issas et celle de 1987 en Nouvelle-Calédonie). Une exception au
principe de l’unité du territoire et de l’amalgame des peuples a néan-
moins été admise dans le cas de Mayotte, le référendum du 8 février
1976 consacrant le démembrement du territoire d’outre-mer des
Comores. Mais deux facteurs expliquent la singularité de cette situa-
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tenir à la Communauté ». Cette disposition allait permettre de mettre
fin à la Communauté constitutionnelle et de donner naissance à la
Communauté conventionnelle. Les pays de la Communauté accédèrent
à l’indépendance sans que les peuples soient directement consultés.
Mais les accords visés à l’article 86 passés entre la France et les pays
d’Afrique noire ainsi que Madagascar furent approuvés par des assem-
blées réellement représentatives. En outre, et surtout, la volonté des
populations concernées ne faisait aucun doute : elles souhaitaient accé-
der à l’indépendance en gardant des liens étroits avec la France
5
.
30
. Il reste que, depuis 1946, les résidents permanents ont été consul-
tés chaque fois que des modifications ont été apportées au territoire
métropolitain de la France ; ainsi, en 1967, 9 hectares de terres furent
rétrocédés à l’Italie dans le secteur Clavières-Montgenèvre ; avant de
procéder à cette opération, le préfet des Hautes-Alpes s’assura de
l’accord non seulement du conseil municipal de Montgenèvre, mais
encore des huit personnes habitant dans la zone rétrocédée avant que la
loi ne soit soumise au Parlement. Dans un arrêt de 1958, le Conseil
d’État a au demeurant estimé que la consultation des populations inté-
ressées constituait le préliminaire obligatoire du vote d’une loi autori-
sant la ratification d’un traité portant cession de territoire.
31
. En troisième lieu, alors que le plébiscite était initialement conçu pour
permettre de se prononcer sur une éventuelle annexion, il constitue
aujourd’hui principalement un moyen de savoir si la population d’un
territoire déterminé souhaite rester liée à cet État ou choisit la voie de
l’indépendance, auquel cas elle formera un nouvel État. Or, depuis tou-
jours favorable au plébiscite d’annexion, la France n’a adhéré au plé-
biscite de sécession que depuis l’arrivée au pouvoir du général
de Gaulle. Il reste que, pas plus que l’article 27 de la Constitution de
1946, l’article 53 de la Constitution de 1958, qui s’en inspire fortement,
ne prévoit expressément le droit à l’autodétermination des peuples rat-
tachés à la République française puisqu’il dispose seulement que « nulle
cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le
consentement des populations intéressées ». Il n’ouvre donc pas
a priori
le droit pour un territoire partie intégrante de la République de récla-
mer son indépendance. Mais tant l’exécutif que le législateur et le
Conseil constitutionnel devaient modeler, à partir des textes de 1958, un
droit adapté aux nécessités d’une décolonisation à laquelle il n’était pas
possible d’échapper sous des prétextes d’orthodoxie juridique. Cette
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évolution devait se faire en trois grandes étapes :
– D’abord le processus conduisant à l’indépendance de l’Algérie (qui,
étant département français, ne pouvait se voir appliquer les dispositions
de la Constitution relatives aux TOM et aux États de la Communauté).
Il donna lieu à une série d’opérations particulièrement complexes : la
France accorda l’autodétermination au peuple algérien par une loi du
14 janvier 1961 votée par référendum le 8 janvier, conformément à
l’article 11 de la Constitution ; les accords d’Évian du 18 mars 1962, qui
étaient une déclaration d’intention du gouvernement français s’engageant
à accorder l’indépendance à l’Algérie si la consultation populaire se pro-
nonçait en ce sens, furent à leur tour approuvés par référendum en vertu
de l’article 11, le 8 avril 1962 ; la loi du 13 avril 1962 qui s’en suivit orga-
nisa, conformément cette fois à l’article 53, le plébiscite qui se tint le
1
er
juillet de la même année dans les seuls départements algériens ; ceux-
ci ayant voté massivement en faveur de l’indépendance, la France recon-
nut l’indépendance de l’Algérie dans une déclaration du 3 juillet 1962.
Alors que les deux premiers référendums s’adressaient au peuple fran-
çais, le troisième ne concerna que le peuple algérien.
– Ensuite, la formulation de la doctrine Capitant (du nom du pro-
fesseur de droit René Capitant) à l’occasion du référendum de 1967 dans
la Côte française des Somalis. Selon cette doctrine, l’article 53 de la
Constitution s’appliquait non seulement en cas de cession, mais aussi
en cas de sécession. Simplement, en cas d’accession à l’indépendance d’un
TOM, le traité exigé par l’article 53 prendrait une forme spéciale, celle
de l’acte international que constitue de la part de la France sa recon-
naissance comme État. Les TOM, dont les peuples étaient entrés volon-
tairement dans la République en 1958, pouvaient en sortir par le
concours de leur volonté et de celle de la France. L’article 53 permettait
donc toute sécession conforme aux vœux de la population d’un TOM
et autorisée par le Parlement français. Ce dernier fut convaincu par la
doctrine Capitant. Aussi bien à Djibouti qu’aux Comores, l’octroi de
l’indépendance résulta d’une loi suivie d’un référendum dont les consé-
quences furent tirées par une nouvelle loi.
– Enfin, la jurisprudence du Conseil constitutionnel : dans une déci-
sion du 30 décembre 1975, celui-ci estima que l’article 53 était applicable
non seulement quand la France cède à un État étranger ou acquiert de
celui-ci un territoire, mais encore quand un territoire cesse d’appartenir
à la République pour constituer un État indépendant ou y être rattaché.
Cette interprétation fut confirmée par M. de Guiringaud, alors ministre
des Affaires étrangères, qui déclara que la règle posée par l’article 53,
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qui revêt un caractère absolu pour les traités, s’applique
a fortiori
à toute
procédure unilatérale ayant la même portée, notamment les résultats
d’un référendum d’autodétermination. Le Conseil constitutionnel,
s’appuyant sur le Préambule de la Constitution qui dispose notamment
que « la République française n’emploiera jamais ses forces contre la
liberté d’aucun peuple », confirma par la suite cette jurisprudence,
notamment dans sa décision du 2 juin 1987 où il invoque, toujours en
se fondant sur le Préambule, les principes de libre détermination des
peuples et de libre manifestation de leur volonté.
32
. En dernier lieu, on doit relever que l’expression « populations inté-
ressées » qui figure à l’article 53 donna lieu à des controverses juri-
diques ayant eu, dans un cas au moins, de sérieuses implications poli-
tiques. Dans un premier temps (et les référendums de janvier 1961 et
avril 1962 sur l’Algérie, bien que fondés sur l’article 11, se rattachaient
à cette idée), on fut enclin à englober dans cette expression tous les
Français, citoyens d’une République une et indivisible concernés par
toute amputation ou adjonction de territoire. Mais cette interprétation
fut démentie par la pratique suivie lors des autres scrutins d’autodéter-
mination organisés sous la V
e
République. L’intervention du Parlement
garantissant le consentement de la nation entière, les « populations
intéressées » étaient simplement les habitants du territoire concerné. Le
pluriel (« les populations ») donna lieu cependant à une controverse
juridique lors de l’indépendance des Comores et contribua à la scission
du territoire. En effet, lors du référendum du 22 décembre 1974, une
écrasante majorité dans l’archipel se prononça pour l’indépendance,
sauf à Mayotte qui, à 65 % des voix, souhaita son maintien dans la
République française. Dans sa décision du 30 décembre 1975, le
Conseil constitutionnel estima que l’île de Mayotte était un territoire
au sens de l’article 53 et qu’elle ne saurait sortir de la République sans
le consentement de sa propre population. Cette décision, qui contredi-
sait les principes affichés par l’ONU selon lesquels les consultations
doivent s’effectuer dans le cadre des frontières coloniales, fut à l’origine
du référendum du 8 février 1976 qui confirma le maintien de l’île dans
la République.
33
. Au total, le référendum fondé sur l’article 53 a conduit à l’indépen-
dance dans trois cas : l’Algérie, les Comores et Djibouti (à l’issue de la
seconde consultation). Il a en revanche confirmé le maintien dans la
République française de Mayotte et de la Nouvelle-Calédonie. Il est vrai
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que, dans ce dernier cas, la situation pourrait connaître de nouvelles
évolutions, puisque, à la suite du référendum du 13 septembre 1987,
l’accord de Matignon du 26 juin 1988, signé par MM. Lafleur, président
du RPCR, et Tjibaou, leader du FLNKS, a, d’une part, mis sur pied de
nouvelles institutions en Nouvelle-Calédonie (qui devaient être
approuvées le 6 novembre de la même année, par un référendum fondé
cette fois sur l’article 11) et, d’autre part, prévu un nouveau scrutin
d’autodétermination en 1998 par lequel les habitants de l’archipel néo-
calédonien devront se prononcer sur leur destin.
Cette brève étude s’achève là où elle a commencé voici plus de deux
siècles : en France. Ceci n’a rien pour surprendre, puisque la France a
été, de toutes les nations, celle qui a le plus souvent recouru, et de loin,
au référendum d’autodétermination. Si celui-ci a connu des succès
divers dans le passé comme à l’époque contemporaine, si ses fondements
en droit international public demeurent incertains, il trouve en revanche
de solides assises dans notre droit que la pratique suivie depuis les
débuts de la V
e
République n’a cessé d’étayer, toutes tendances poli-
tiques confondues. Ceci est tout à l’honneur de notre pays.
RÉSUMÉ
L’histoire montre que le référendum, s’agissant de l’autodétermination
des peuples, a connu des fortunes diverses, tant dans le temps que dans
l’espace, et a varié profondément d’un État à l’autre, d’une époque à
l’autre et d’une consultation à l’autre. Si ces fondements en droit interna-
tional demeurent incertains, ils sont en revanche bien établis en droit fran-
çais, surtout depuis 1958.
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POUVOIRS – 77, 1996
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